Cancre ou zèbre ?

Quel écolier n’a pas un jour appris Le cancre, véritable « tube » de Jacques Prévert ? (En passant, quel horrible mot que ce cancre pour décrire un mauvais élève, celui-ci étant de la même famille que cancer et chancre !)
L’écolier décrit par Prévert dans son fameux recueil Paroles ne semble pas pour autant être un fumiste ou un idiot…
Mais à la lumière du haut-potentiel, le poème prend un tout autre éclairage. Voyez plutôt…

Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le cœur
il dit oui à ce qu’il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec les craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur.

 

  • Y a-t-il meilleure description de la « dysynchronie » que les deux premiers vers ? Quand ces deux niveaux de conscience (tête et cœur, autrement dit, sphères intellectuelle et émotionnelle) sont en totale opposition…

  • Les deux vers suivants illustrent très bien la propension qu’ont certains zèbres à ne pouvoir apprendre qu’à partir du moment où ils sont passionnés par le sujet et peuvent le travailler avec cœur ! Sans quoi, c’est peine perdue. Et d’autant plus quand l’entente avec l’enseignant n’est pas bonne. Imaginez un instant qu’un élève dise « non au professeur » à l’époque où Paroles est paru, soit en 1946…

  • On imagine volontiers notre grand sensible, debout sur l’estrade, perdre ses moyens devant la classe, dans une véritable séance de torture (on ne l’interroge pas, « on le questionne« !) qui confine à l’humiliation publique. Quel Z n’a pas vécu çà une fois dans son enfance ? Problème de l’élève capable mais qui ne répond pas à la consigne parce qu’un décalage se crée sur le moment ou que l’émotion est trop forte…

  • Quelle scène a bien pu inspirer à Prévert le plus célèbre de ses textes ? Un souvenir d’enfance ? Un souvenir intime ? Peut-on envisager un instant que le célèbre poète n’ait pas été lui aussi un grand rêveur quand il cirait les bancs de la communale ?

  • Et puis, cette fin qui confine à un gigantesque pied de nez au monde de l’éducation, ce triomphe de la liberté et de l’imaginaire sur les « menaces » et les « huées » des enfants « prodiges« …

Fictive ou non, avouez que cette histoire a légitimement de quoi résonner dans l’esprit des rayés…

 

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