Envisager l’intelligence autrement (pt. 3) – le haut-potentiel, partie émergée de l’iceberg ?

Avec la popularisation de la question du haut-potentiel, beaucoup se sont retrouvés dans le descriptif du « zèbre » sans pour autant s’estimer « surdoués ». D’ailleurs, les concernés ont souvent obtenu un résultat inférieur à 130 ou « non-interprétable » au test de QI qui a douché le début d’explication qu’ils pensaient tenir. Et si ces personnes étaient en fait également membres d’une famille plus grande, dont les haut-potentiel ne seraient que la partie émergée ?


Ce qui suit ne demande pas à être considéré autrement que comme une hypothèse, mais au vu des cogitations en vogue, il me semblait intéressant de la présenter. Ne serait-ce que pour aller au bout de ma tentative de modélisation esquissée dans le précédent article. Et un point de vue que je ne suis pas seul à envisager. A la recherche de s’en saisir pour mieux l’objectiver…

 

Ces dernières années, les étiquettes utilisées dans le monde du surdon ont été copieusement revisitées. A la fin des années 2000, l’arrivée du concept de « zèbre » est venue chambouler la donne, jetant un flou aux yeux de certains. S’en sont suivi des déclinaisons suivant l’interprétation des tests de QI. L’Indice de Compréhension Verbale (ICV) d’un test de QI étant supérieur à 130 mais pas les autres indices, certaines personnes ont reçu de psychologues l’étiquette de « Haut-QI verbal », les mêmes psychologues estimant que ce seul résultat peut vous ranger dans la catégorie « haut-potentiel ». Sont également apparus les « multipotentiels », passionnés par plusieurs domaines dans lesquels ils excellent parfois, mais dont la scolarité n’a pas été de tout repos, ce qui les fait écarter d’emblée l’idée d’un surdon. D’autres enfin invoquent un « Haut-Potentiel Emotionnel » ou « HPE ». Un concept qui fait débat, surtout qu’on ne peut à ce jour quantifier des émotions ou l’activité « non logique » du cerveau. Mais ces étiquettes ne répondent pas à toutes les questions…

 

S’il est admis que le résultat au test de QI fait le surdon, que dire à ceux qui se retrouvent dans le descriptif du « zèbre » mais dont le résultat au test de QI est inférieur à 130 ? Ou encore que le résultat est trop hétérogène pour être interprétable ? Certains brandiront tout net « l’effet Barnum » pour expliquer que si vous vous retrouvez dans le portrait établi dans le fameux ouvrage best-seller sur la question, il s’agit d’un « biais de confirmation », et que tout un chacun peut se retrouver dans le descriptif fait, un peu comme à la lecture d’un horoscope. Ce serait faire un peu vite fi de la bonne foi des dits-lecteurs, de leurs capacités de discernement, écarter trop facilement le fruit de leurs propres recherches et leurs interrogations qui trouvent bien leur origine quelque part.


Dans un article précédent
, j’ai expliqué pourquoi les tests de QI ne peuvent pas répondre à toutes les questions. Ils s’avèrent même limités à bien des égards puisqu’ils passent à côté de nombreux aspects de l’activité cérébrale. Ils n’expliquent en effet pas tout du fonctionnement neurologique d’une personne dont le cerveau n’est pas que compréhension, raisonnement, mémoire ou vitesse de traitement.


Avec la métaphore de la fleur exotique
, j’ai esquissé ma vision de la plasticité cérébrale du haut-potentiel… Et chemin faisant, je me demande si cette particularité ne concerne pas plus de monde, avec des résultats variables. J’écrivais ainsi : « Et s’il existait une catégorie de personnes qui, de par leur particularité physiologique, étaient l’équivalent humain de ces plantes ? Particuliers, avec leurs besoins spécifiques, plus sensibles aux aléas, pas toujours bien armés face aux stress, qui peuvent tant donner des choses magnifiques que survivre péniblement dans un contexte défavorable ?« 

 

Et si, finalement, ces « fleurs exotiques » étaient plus courantes qu’on ne l’imagine ? C’est la lecture des travaux d’Elaine Aron, psychologue américaine qui a popularisé la question de l’hypersensibilité, qui m’a amené justement à envisager la question sous cet angle. Selon l’auteur de « Ces gens qui ont peur d’avoir peur », l’hypersensibilité concernerait 1 personne sur 5, et à aucun moment elle n’en écarte les « gifted » (mot américain pour « surdoués », pays où on ne distingue pas l’un de l’autre, comme au sein de l’association SENG / Supporting Emotionnal Needs of the Gifted)…


Trouver la cause de la cause


La nature est ainsi faite que nous possédons des particularités physiques
: couleur de la peau, des cheveux, des yeux, taille plus ou moins grande, tendance à l’embonpoint ou allure filiforme, fragilités congénitales pouvant affecter tel ou tel organe ou favoriser telle maladie… la biologie et la génétique n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Mais si nous sommes tous porteurs de différences physiques et que de multiples nuances sont dans la nature, pourquoi posséderions-nous tous les mêmes spécificités neuronales, avec tout ce que cela peut impliquer ? Je n’ai pas connaissance du fait que la psychologie et la médecine en général aient envisagé ces questions ainsi. A titre de comparaison, nous portons tous en nous 4 à 6 litres de sang mais ne sommes pas nécessairement tous du même groupe sanguin !


L’existence d’une particularité neurologique génétique semble établie, le haut-potentiel semblant être d’ailleurs « de famille ». Cette particularité pourrait être plus ou moins remarquable selon les individus, mais surtout, elle serait logiquement moins flagrante que les caractéristiques physiques suscitées puisque ne concernant que le système nerveux, et donc quasi-invisibles (sauf peut-être pour un œil affûté).

 

Sauf que les IRM nous permettent d’observer dorénavant ce qu’on croyait ne relever que du psychisme hier. La neurologie nous permet donc d’envisager le haut-potentiel à la lumière de cette sensibilité. Par conséquent, s’il existe bien une activité cérébrale plus importantes dans une certaine population, on peut légitimement estimer :

  • Que la vie neurologique, nerveuse, sensorielle et donc psychique de ces personnes ne peut qu’en être impactée.
  • Qu’un « haut-potentiel«  révélé par un test de QI est une conséquence de cette forte activité cérébrale, pas l’inverse. Quand les tests de QI ont été inventés dans les années 30, ils étaient un moyen de révéler des capacités cognitives. On ne s’est pas interrogé sur la vie psychique ou la sensibilité de ces personnes (même si Alfred Binet avait déjà observé une grande sensibilité chez certains enfants au début du XXème siècle !). Pour mieux cerner votre fonctionnement, aujourd’hui encore, on vous fera passer un test de QI plutôt qu’une IRM pour des questions de coût.
  • Si cette grande sensibilité existe chez des personnes dont le test de QI est supérieur à 130, elle ne devient pas « nulle«  et inexistante chez une personne dont le QI serait inférieur, qu’il soit de 129, 125, 120… Elle est juste moins forte, mais pourrait aussi impacter l’ensemble des aspects de la vie. On pourrait par conséquent se retrouver dans le descriptif du « zèbre«  avec un QI inférieur à 130, ce que l’inventrice du concept n’a jamais écarté, mais qui hérisse le poil de ceux qui ne jurent que par l’échelle de Wechsler.
  • Par conséquent, les personnes concernées par ce qui est décrit seraient plus nombreuses que les seuls 2,3 % de la population supposés être au-dessus de 130.
  • Enfin, s’il est établi que la vitesse de conduction neuronale évolue avec le score du QI (à la vitesse de 50 cm par seconde par point de QI), – ce qui laisse imaginer que cette sensibilité est d’autant plus forte que le QI est élevé ! -, la sensibilité d’une personne avec un QI de 120 serait plus importante que celle d’une personne avec un QI de 100. Cela peut sembler anecdotique, mais cela signifierait que la population « hypersensible«  identifiée par Elaine Aron se situe dans le haut de la courbe de Gauss.

 

On pourrait ajouter à cela qu’une hyperactivité neuronale impliquerait logiquement le système nerveux dans son entièreté, avec de possibles fragilités qui pourraient avoir un retentissement sur la santé psychique (entre autres). Et que la grande famille des hypersensibles serait donc plus fréquemment sujette à des difficultés de cet ordre ?


Pour toutes ces raisons, voilà pourquoi, selon moi, en s’arrêtant aux questions de haut-potentiel, de « zèbre«  ou autres, on ne toucherait vraisemblablement du doigt que la partie émergée d’un iceberg qui concernerait une partie plus importante de la population. Celle des « hypersensibles«  identifiée par Elaine Aron ?

 

Zèbres, HPE, Multipotentiels… Tous cousins ?


Alors, surdoués, zèbres, QI hétérogènes, multipotentiels, HPE… tous cousins ?
Considérer cette grande famille sous l’angle d’une « haute-sensibilité neurologique«  ne suffit-elle pas pour avoir une idée de comment ses membres fonctionnent sans toutefois compartimenter à outrance, ni renier les nuances ? Cela n’écarte pas les particularités, une catégorisation à double tranchant et parfois floue. Mais quid de l’humanité de chacun ? J’observe pour ma part le plus souvent que tous les concernés sont en fait « comme les autres« , mais « plus que les autres«  : ils restent des humains, avec leurs émotions, leurs besoins, leurs pensées, plus fortes, plus denses, plus riches, et ne sont pas des extra-terrestres pour autant !


J’utilise ce terme à dessein : je n’écarte pas le décalage et les particularités, mais passé leur besoin légitime de comprendre comment ils fonctionnent, ils interrogent ainsi souvent des aspects qui sont les mêmes que les normo-pensants : la vie, le monde, le travail, le couple, les rapports aux autres, leurs émotions, leurs besoins… C’est juste que les questions se font plus intenses, plus cruciales, plus douloureuses. Mais pour l’essentiel, le chemin pour trouver les réponses sera le même. Encore leur faut-il parfois sortir des carcans avec lesquels ils ont grandi, comme l’éléphant est resté auprès de son arbre…


D’ailleurs, les approches et outils que je peux utiliser restent pour l’essentiel des outils développés pour tous. Mais ils seront d’autant plus utiles pour des personnes qui se découvrent propriétaires d’une Formule 1 alors qu’elles n’ont jamais appris à piloter, ni même à conduire !

 

Post-scriptum : Tout ceci devrait par conséquent m’amener à mettre de côté les notions de « surdoué », « zèbre », etc… qui me semblent limitatives, que j’utilise sur ce blog par habitude et facilité de langage, pour lui préférer celui de « surefficient » qui me semble le plus pertinent, et qui engloberait au mieux toutes ces personnes à « grand fonctionnement cérébral / nerveux ».

Ne soyez donc pas surpris si j’use et abuse encore de celui de haut-potentiel ou HP pour une autre raison : outre le QI, il y a assurément quelque chose qui tient du « voltage » – le volt étant en électricité l’unité de mesure de la « différence de potentiel », un niveau d’électricité d’ailleurs mesurable dans le cerveau et induit par la dopamine -, sinon du « Haut-Parleur » (un autre mot pour « HP »), qui rejoint l’idée « d’amplificateur » évoquée dans l’article précédent

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